BREF HISTORIQUE D'UNE CERTAINE CREATIVITE PHOTO

On a sans doute trop tendance à négliger la nature technologique de la photographie lorsqu'il s'agit de prendre en compte ses dimensions artistiques.
De même qu'il est de bon ton de passer sous silence le rôle de la toute nouvelle apparition du tube de couleur dans l'éclosion de la peinture impressionniste au milieu du XIXème siècle, on ne veut pas trop voir le rôle de la réduction des formats des appareils de prise de vue dans l'explosion de la photo instantanée dans l'entre deux guerres par exemple.
En fait, c'est chacune des très nombreuses données techniques intervenant à tous les stades de la réalisation d'une image photographique qui peut engendrer chez les plus curieux des photographes le désir de les maîtriser tout d'abord, ce qui est la moindre des choses, mais surtout de faire naître par là de nouvelles possibilités de création qu'il s'agit d'explorer, pour le plus grand plaisir de ces découvreurs.
Pour faire court, je ne citerai que les anamorphoses d'André Kertesz, pour l'optique, et les "solarisations" (ou plus exactement les effets Sabatier) de Man Ray, pour la chimie. On aura compris que dans les deux cas la démarche vaut moins par la prouesse technique que par la découverte et la mise en oeuvre des nouvelles esthétiques qui en découlent.

Or, succédant à l'apparition du film Kodachrome en 1936 et après le black out de la guerre, la période qu'on appelée "les trente glorieuses" a vu de nombreuses avancées technologiques mises à la portée des photographes avides de nouveaux moyens de création.
Mon propos est de relever les démarches, souvent méconnues bien que novatrices, de ceux qui, les premiers, ont su tirer le meilleur des nouvelles possibilités offertes dans le domaine de la photographie en couleurs.

Nul ne saurait dire qui a été le premier à placer par mégarde deux diapositives dans la même glissière d'un projecteur. Je me rappelle avoir jugé un concours de diapositives où c'est ce qui s'était malencontreusement produit. Mes deux collègues ont immédiatement mis une note infamante à l'image qui apparaissait à l'écran.

On voit par là que ce n'est pas la technique qui conditionne la réussite d'une image photographique mais l'usage qui en est fait.

Nul ne pourrait dire non plus qui a été le premier à appuyer deux fois sur le déclencheur sans faire avancer le film dans l'appareil photographique. Là aussi, le résultat peut être heureux ou malheureux selon la chance ou le talent.

Très ancienne aussi est la technique du "bas-relief" ou paraglyphe consistant à placer l'un sur l'autre une diapositive et son négatif. Elle permet d'obtenir, surtout en couleurs, des effets de nuit assez saisissants.

Je dois avouer avoir été très marqué par une photographie traitée ainsi, mais où le négatif était cette fois coloré. L'auteur était-il le premier à utiliser cette technique? Qu'importe, c'était certainement l'un des premiers à l'utiliser avec un tel bonheur.

"DAWN A PURPLE PATH".
© Robert ROUTH

Tan Lip Seng, de Singapour, a d'ailleurs créé, à la même époque et par la même technique, des images pleines de poésie.

Plus sophistiquée est la technique des équidensités ou séparations de tons couleur, utilisant un film très contrasté appelé film trait ou film lith.

En 1969 lorsque j'ai mis au point cette technique avec l'aide d'Hervé Berthoule, seuls quelques photographes dans le monde la maîtrisaient déjà: Wellington Lee aux USA, Jan Weborg en Suède, Gerhard Koenig, Gerhard Mikulaschek et Otto Girnus en Allemagne. Roel Roelofsen, en Afrique du Sud, employait, je crois, une technique un peu différente pour une esthétique un peu différente.

UP THE STEPS
© Wellington LEE

ARABIC GENTLEMAN
© Jan WEBORG

LITTLE FARM
© Gerhard MIKULASCHEK
 

L'effet Sabatier, appelé improprement solarisation, qui consiste à exposer brièvement à la lumière le film à un certain moment de son développement, a mobilisé beaucoup d'énergies et de talents. Je ne citerai pour mémoire que Mikael Roll et Ed. Wrench, mais je crois que les images les plus abouties ont pour auteur Alex Kovaleff.

PARIS: LA CITE
© Alex KOVALEFF

En 1968, l'accessibilité au domaine civil du film couleur infra rouge "Infrared Aero", créé pour l'espionnage aérien, a également permis l'émergence d'images souvent poétiques, à condition de choisir judicieusement la couleur des filtres nécessités par ce genre de prise de vue.

Dans cette même période 1950-1970, d'autres recherches personnelles ont donné naissance à des images poétiques. Celles de Italo Di Fabio par exemple dont les techniques sophistiquées de duplication permettaient de sélectionner dans une image les couleurs à magnifier pour créer une ambiance particulière.

PASCOLO No 5 © Italo DI FABIO

Bien d'autres recherches ont été menées dans cette période particulièrement féconde. Je n'ai voulu citer ici que celles donnant lieu à une transformation significative du réalisme photographique par une approche personnelle du sujet tout en garantissant à l'auteur une totale liberté dans ses choix. J'ai toutefois négligé l'usage des filtres dont la diversité pléthorique a souvent amené à des abus regrettables; mais parfois au contraire à de belles réussites lorsque l'auteur arrivait à en dépasser ou à en détourner la fonction première. Je citerai deux exemples:

- La démarche de David Hamilton dont il faut bien voir que la créativité se situe prioritairement dans le choix et le conditionnement de ses modèles, et non dans le choix de tel ou tel filtre de flou.

- Dans l'image ci-dessous, Guy Samoyault a utilisé le filtre "super speed" non pour un effet de vitesse, mais plutôt de lévitation. 

HONFLEUR. © Guy SAMOYAULT

Ce rapide tour d'horizon des recherches effectuées au cours du troisième quart du XXème siècle dans le domaine de la photographie en couleurs ne prétend nullement à l'exhaustivité, non plus d'ailleurs qu'à l'objectivité dans la mesure où l'intérêt que je porte à ces démarches est largement conditionné par mes propres recherches, toutefois...
A l'heure où l'ordinateur autorise toutes les audaces, il m'a paru utile de lever, ne serait-ce que partiellement, le voile qui occulte encore trop largement une part importante de la photographie créative de cette dernière moitié du XXème siècle dont l'histoire reste à écrire.

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